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Viticulture et climatologie :
un sujet  d’actualité

Station météo au Domaine de la Portelette – © Vanel

L’anticipation des risques climatiques (pluie, gel, grêle, etc.) et des maladies susceptibles d’affecter la qualité des raisins et des vendanges est un enjeu majeur dans notre viticulture. Chercheur à l’ULiège et l’UBourgogne, le climatologue Sébastien Doutreloup s’intéresse au sujet depuis plusieurs années. Entretien.

« Mon intérêt de climatologue pour la vigne a débuté à la fin de ma thèse de doctorat, explique-t-il, j’étais toujours assistant à l’Université et il fallait que je trouve un sujet de recherche. Il y a de plus en plus de vignobles en Wallonie mais personne n’étudie le climat de la vigne. En Belgique du moins, car j’ai beaucoup de collègues étrangers qui le font.

J’ai donc initié un partenariat avec l’Université de Bourgogne et je suis parti à Dijon pour travailler avec eux. Mais la vigne est immensément complexe, comme le climat, je me suis donc contenté des variables climatiques qui influencent la vigne. On parle souvent de changement climatique, mais la difficulté est de caractériser ce changement et de décrire l’évolution des cépages qu’il faudrait prévoir. »

Pour répondre à cette question, Sébastien Doutreloup s’est donc associé à d’autres climatologues et chercheurs, dont Benjamin Bois, agronome de Dijon et de l’Institut de la Vigne et du Vin (Université de Bourgogne). Ensemble, ils ont choisi d’utiliser le Modèle Atmosphérique Régional (MAR) développé à l’Uliège afin de comparer le climat belge avec celui de la Champagne, de la Bourgogne, de l’Alsace et du Jura et d’identifier la position de la Belgique dans cette comparaison et sa potentialité viticole actuelle avec le réchauffement climatique.

Plus de 150 points de collecte

« Développé majoritairement à Uliège,  le MAR est utilisé pour les prévisions météo mais aussi pour la vigne. Pour observer le climat, relève le chercheur, des données ont été enregistrées en Belgique à partir de 27 stations du réseau SYNOP installées entre 2000 et 2020, et en France, à partir de 145 stations réseau Météo France.

L’un des 150 points de collecte de données. ici à Chevron. © Vanel

Nous avons ainsi pu analyser plusieurs variables. Tout d’abord, les variables météo annuelles et saisonnières (température annuelle, minimale et maximale, pluviométrie) mais aussi les indices bioclimatiques (l’indice d’Huglin qui donne une bonne idée du climat nécessaire à la culture d’un cépage), mais aussi les jours de gel au printemps, les jours chauds en été ainsi que les précipitations cumulées d’avril à septembre.

A cela s’ajoutent encore l’observation des indicateurs phénologiques du Chardonnay, variété commune aux quatre régions, aux quatre stades clés de son développement (débourrement, floraison, véraison et maturité) ainsi que plusieurs autres données comme le pourcentage d’années gélives après la date de débourrement. 

Ces données, poursuit le climatologue, ont été transformées en indicateurs phénologiques pour voir si MAR permettait de bien représenter les stades-clés de la vigne (nous avons regardé cela pour le Chardonnay) ainsi que plusieurs autres données comme le pourcentage d’années gélives après la date de débourrement. 

L’étude continue de ces variables a permis de classer les types de climats et de voir qu’à chaque type de climat était associé un type de cépage. Cela va du Müller-Thurgau et du Pinot gris dans les climats froids à la Syrah ou au Viognier dans les climats chauds jusqu’au Nebbiolo dans les climats très chauds. On voit ainsi qu’en Belgique, on préfèrera le Pinot gris plutôt que le Carignan réservé aux climats chauds et très chauds.

Ces variables, représentées dans le tableau ci-après, permettent de dire que la Belgique (considérée dans son ensemble , région côtière et région de l’Ardenne exclues) est la région où les températures minimales moyennes sont les plus basses au printemps (1,3°), mais aussi en été (20.0°) ou sur l’année (10,2° de moyenne).

Au niveau de la pluviométrie, pour les quatre régions, le Jura est celle qui a l’indice le plus élevé – (1339 mm/an) et l’Alsace la plus faible (614mm/an). En Belgique, la moyenne de 827mm/an.

© Sébastien Doutreloup

Belgique = Champagne ?

« On pense souvent que la Belgique ressemble à la Champagne, mais si l’on considère les degrés-jour qui permettent d’évaluer la rigueur du climat d’une année à l’autre et d’une région à l’autre, on constate que le climat est plus froid chez nous, avec un écart de l’ordre de 180 degrés-jour environ et surtout que notre pays est la plus gélive des quatre régions. »

A noter que pour 2020, l’indice d’Huglin est de 1800 degrés-jour mais seulement de 1100 en 2021. Il est important dès lors de regarder à la fois la moyenne sur 20 ans, mais également sa variabilité.

Sébastien Doutreloup et ses confrères ont également étudié les stades de développement du Chardonnay. Très présente dans les trois autres régions, c’est aussi la variété la plus plantée en Belgique.

« La Belgique est la région la plus tardive à tous les stades de croissance du Chardonnay et il faut absolument que sa maturité phénologique soit atteinte avant le 31/10, car après cette date, il fait trop froid pour vendanger. 

En synthèse, on peut dire que sur la période 2000-2020, la Belgique est :

  • classée comme « très froide » selon l’indice d’Huglin,
  • plus tardive que la Champagne et le Jura, il faut donc préférer d’autres cépages plus précoces pour éviter le risque de non-maturité,
  • le gel printanier est le plus gros risque, il gèle après débourrement quasiment un an sur deux. Il faut donc préférer les cépages au débourrement tardif
  • les précipitations et les jours chauds ne sont pas un risque, sauf peut-être dans le sud de la Wallonie. »

Quid de l’avenir ?

Qu’en sera-t-il de la viticulture belge dans un futur proche ou lointain ? Sébastien Doutreloup et les autres chercheurs en climatologie confrontent leurs simulations aux modèles du GIEC qui estiment l’évolution du climat en fonction des émissions des gaz à effets de serre.

Si l’on utilise le scénario de réchauffement climatique le plus réchauffant, on se dirige vers un indice d’Huglin de + de 2000 degrés-jour avec une augmentation de 5 à 6°C d’ici la fin de ce siècle. Ce qui signifie que l’on pourra alors planter du Grenache ou de la Syrah en Belgique…

© Sébastien Doutreloup

« Mais certains scénarios vont plus vite que ce que certains modèles annoncent, conclut-il. Etant donné que le changement climatique est plus rapide que le développement d’une vigne, certains viticulteurs me demandent s’il faut déjà déjà planter du Merlot pour les prochaines années. Le climat évolue et se réchauffe, certes, mais, en Belgique, il subsiste aussi une grande variabilité météorologique.

Comme je l’ai déjà souligné, l’indice d’Huglin était de 1800 chez nous en 2020 et seulement de 1100 l’année suivante. Cela implique une énorme différence de production, notamment au niveau de la vigne, et cette variabilité, il y a fort à parier que nous allons la garder.

Quant à savoir si la Belgique a le même climat que la Bourgogne il y a 40 ans, je dirais que cela dépend du point de comparaison. Selon l’indice d’Huglin, oui, effectivement, mais celui de la Bourgogne aussi, nous avons donc un décalage d’une trentaine d’années climatologiquement parlant. Il est aussi normal que certaines années soient meilleures que d’autres, cela existera toujours, et si on lisse cela sur 10 ou 20 ans, nous évoluons effectivement vers des températures plus chaudes. Mais il peut y avoir des variabilités au sein d’une même année et en 2023, les vendanges pourraient se faire 15 jours plus tard. D’autres études sont déjà en cours, nous ne sommes qu’au début de la climatologie appliquée à la vigne… »

Entretien : Marc Vanel

> Les commentaires de cet article sont extraits d’une présentation du Dr Sébastien Doutreloup effectuée dans le cadre du projet EMRWine en mai dernier et d’un entretien réalisé en septembre.

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