Newsletter 12

Développer de nouvelles filières pour l’emploi

La viticulture génère-t-elle des emplois en Wallonie ou est-elle avant tout une affaire de passionnés qui ne comptent pas leurs heures? La réponse est forcément entre les deux…

Si la Wallonie a connu quelques beaux millésimes ces dernières années, elle en a aussi malheureusement connu d’autres qui l’étaient nettement moins, faisant chuter, comme en 2019 ou en 2021, la production de 10 à 100% selon les domaines. Même si l’on dénombre presque 200 producteurs au sud du pays, il faut constater qu’il s’agit principalement de petites parcelles d’un ou deux hectares où le plaisir prime sur la rentabilité. Seuls une douzaine de vignobles dépassent toutefois les dix hectares, seuil de rentabilité reconnu pour une activité professionnelle.

Car la viticulture coûte cher. Le prix de l’hectare de terres agricoles a littéralement explosé ces dernières années autour de 60.000€, et devrait prendre encore 25 à 30% rapidement. A cela s’ajoute le prix des pieds de vigne, des piquets, des fils, du matériel d’entretien, du chai et du personnel.

Comme le faisait remarquer l’agro-économiste Jan Leyten sur le site de la KBC en juillet 2020, « la forte croissance du secteur en Belgique au cours de la dernière décennie se reflète dans la réussite d’un certain nombre de viticulteurs. Et même s’il s’agit souvent d’un hobby qui a évolué, de la poursuite d’un rêve, d’un (ré)investissement à long terme ou de la diversification d’une entreprise agricole ou horticole existante, une dizaine de viticulteurs professionnels développent leur activité.

La concurrence internationale étant féroce et les coûts étant relativement élevés pour nos viticulteurs, ceux-ci sont contraints de se concentrer sur le marché intérieur, avec un produit qui s’articule autour du concept global: un produit régional de haute qualité, axé sur un marché de niche et la volonté de vivre une expérience.

(…) Le tableau économique et financier n’est pas sans importance pour un viticulteur. La viticulture est une activité à forte intensité de capital et de main-d’œuvre, alors que les rendements sont incertains, les bénéfices modestes et le temps de retour sur investissement très long. La création d’une entreprise viti-vinicole professionnelle est par conséquent loin d’être une évidence.

Les nouvelles plantations et une installation de vinification sont de lourds investissements, qui ne commencent à produire des rendements qu’après un certain nombre d’années. Abstraction faite de l’achat des terres, les investissements de démarrage se chiffrent rapidement à 80 000 à 100.000 euros par hectare. Pour un prix de vente de 13 euros par bouteille de vin non pétillant, le délai d’amortis­sement des investissements atteint facilement huit à douze ans. »

Taille au Poirier du Loup – © Vanel
Et le personnel ?

Dans toute exploitation agricole, horticole ou viticole, l’activité varie tout au long de l’année et est rythmée par les saisons ou les conditions météorologiques. Une réglementation spécifique répond à ces exigences de flexibilité : le travail saisonnier (1).

Les employeurs relevant de la Commission paritaire CP145 des entreprises horticoles (maraîchage, fruiticulture, pépinières, floriculture) peuvent engager, à des conditions avantageuses, des travailleurs occasionnels afin de faire face à des périodes de pointe.

Il s’agit d’un emploi temporaire avec des contrats journaliers et un saisonnier ne peut prester que maximum 100 jours par année civile dans le cadre de cette réglementation particulière, en marge du travail dit régulier (contrats en CDD ou CDI).

Comme le précise le Fonds social et de garantie pour les entreprises horticoles – FSG Horticole, sur son site, « le formulaire occasionnel remplace le contrat de travail. Chaque jour renseigné sur ce formulaire correspond à un contrat journalier. Dans ce cas, on estime que le contrat de travail se termine automatiquement chaque jour. Il ne faut pas suivre de procédures spécifiques pour terminer le contrat. L’employeur décide chaque jour quelle personne il va engager. On ne doit pas conclure un contrat de travail par écrit.

(…) Le premier employeur d’un saisonnier doit acheter le formulaire occasionnel. Il doit le remplir et le remettre au travailleur. Avec cette carte, le travailleur peut justifier auprès de tous les futurs employeurs combien de jours de travail il a déjà effectués. »

Au Domaine du Chant d’Eole – © Vanel

Le salaire horaire des saisonniers engagés sur un vignoble relève de la CP145.05 – fruticulture et s’élève à 9,69€. Un précompte professionnel de 11,11% est à déduire de ce salaire brut. Les travailleurs réguliers, engagés en CDD ou CDI dans ce secteur, voient leur salaire horaire brut varier entre 11,18 à 13,51€ selon la catégorie (de 1 à 4) et l’ancienneté (le taux le plus élevé étant de 14,05€ après 40 ans d’ancienneté…) A cela s’ajoutent une indemnité hebdomadaire pour les vêtements (4,11€) et une autre pour couvrir le déplacement de 3,65€.

Depuis le 1er juillet 2016, le travail étudiant peut être cumulé avec le travail occasionnel. Ceci implique que le travailleur occasionnel étant aussi étudiant, peut travailler sur une année civile jusqu’à 475 heures en tant qu’étudiant (depuis 2017) et pendant 100 jours en tant que travailleur saisonnier dans le secteur horticole (CP145).

A noter que les chômeurs perdent leur allocation de chômage pour chaque jour d’occupation en tant que saisonnier et doivent être en possession de leur formulaire de chômage, dûment complété, sur le lieu de travail. Le travail bénévole n’est quant à lui pas autorisé dans les entreprises professionnelles.

Enfin, comme le souligne le FSG Horticulture, « l’employeur doit faire une DIMONA auprès de l’ONSS pour chaque jour presté par le saisonnier, avant le début du travail. Pour ce faire, il doit disposer du numéro national du travailleur et doit indiquer l’heure de début et de fin de l’occupation journalière. »

Formation à la taille à la coopérative de Sirault – © DR

Sur le terrain

A côté de la cueillette, qui n’exige pas de compétences particulières, il y a des travaux saisonniers, comme la taille, qui demandent à être exécutés par du personnel qualifié. Ce qui pose un nouveau problème. Car si certains choisissent de se former chez nous dans certaines écoles ou organismes (voir plus loin), d’autres partent à l’étranger et reviennent en étant trop qualifiés pour travailler comme saisonniers sur une parcelle. Souvent, ils n’acceptent dès lors pas le job, ou alors le quittent rapidement.

« Pour être rentable, souligne un producteur, et rémunérer un travailleur temps plein, il faut avoir dix hectares, en dessous, ce n’est pas possible. Aujourd’hui, certains travailleurs doivent partager leur temps de travail entre plusieurs vignobles et finissent trop souvent par quitter l’un pour l’autre. »

Comme le souligne Vincent Dienst, conseiller technique de l’AVW, qui travaille au Domaine de Bousval et au Domaine W, « d’une manière générale, la question de la main d’œuvre est un point de difficulté pour plusieurs raisons. D’une part, car il n’est pas facile de trouver du personnel saisonnier qualifié qui sache exécuter certaines tâches techniques dans la vigne (taille, ébourgeonnage). Ils ne reviennent pas toujours d’une année à l’autre, il faut donc dépenser beaucoup d’énergie pour les former.

Dans ce sens, les formations de type IFAPME sont une très bonne chose, mais la plupart des apprenants ont un profil plutôt “gestionnaire” qui veulent démarrer un nouveau projet viticole, et pas assez souvent des profils ouvriers/techniciens viticoles qu’on pourrait engager dans la vigne.

Un autre gros frein est le coût de la main-d’œuvre en CDD/CDI, ce qui renforce la pression sur le prix des vins belges en général, puisque la viticulture est très consommatrice en main d’œuvre.

Un autre frein pour engager du personnel sur du long terme est la saisonnalité. On alterne souvent des périodes avec des besoins de main d’œuvre très élevés (le pic étant de mai à juillet) avec des périodes plus calmes (mois d’avril, de fin juillet à début septembre et de novembre à janvier). Pas facile de donner du travail en continu. »

Sammy Lasseel, au Domaine Marquise de Moulbaix, estime le coût des saisonniers à 6 euros la bouteille…

D’autres dispositifs d’aides à l’emploi existent, comme « Impulsion 12 mois + » du Forem, indique Jérôme Naets du Domaine de Bellefontaine. Cette aide permet à celles et ceux qui sont demandeurs d’emploi de longue durée (n’ayant plus été au travail depuis au moins 12 mois) de bénéficier, sous conditions, d’une allocation de travail pendant 2 ans maximum qui sera déduite du salaire par l’employeur. Cette aide concerne tous les secteurs. (infos: ICI).

Oenotourisme

A côté de cela, certains choisissent de bosser en indépendant et se rémunèrent pour la gestion de leur propre domaine. D’autres domaines, comme Ruffus qui occupe sept à huit temps plein, ont aussi recours à des intérimaires: « plus ou moins 2 ou 3 la moitié de l’année, précise John Leroy. Les frais de personnel représentent 20% de nos frais mensuels. Pendant les périodes d’enlèvement, nous avons aussi nos clubs de dégustation qui viennent donner un coup de main.”

En 2022, grâce à la plantation de dix hectares supplémentaires et la construction d’un nouveau bâtiment abritant un nouveau chai, des salles de réception et de spectacle, le Domaine du Chant d’Eole va fortement développer ses activités et son équipe atteindra une bonne trentaine de personnes.

« Pour nos activités de viticulture, explique Hubert Ewbank qui mène l’équipe depuis sept ans, nous avons tout d’abord été obligés de chercher à l’étranger, notamment en Champagne pour trouver des saisonniers qui connaissaient le métier. Notre volonté est toutefois de créer des emplois locaux, en développant de nouveaux partenariats avec les écoles et centres de formation tels que l’IFAPME. Et avec les vignobles qui nous entourent, il y a un important potentiel d’emploi.

Nous n’avons pas eu de difficulté à trouver du personnel avec une expérience agricole pour ce qui concerne le travail mécanique des enjambeurs. Pour les vendanges, une partie se fait en mécanique (pas de problème non plus) ou en manuel avec des bénévoles où l’on remarque un engouement très important. Nous avons toutefois été obligés de créer une asbl dans laquelle tout bénévole doit être inscrit le jour des vendanges.

Par contre, pour tout ce qui concerne l’administratif, les finances, le marketing ou le commercial, nous croulons sous les demandes. Et l’équipe s’étoffe de jour en jour, une quinzaine de personnes actuellement. Cela sera nécessaire pour développer toutes nos activités d’œnotourisme car nous accueillons de plus en plus d’entreprises en semaine. Nous accueillons pour cela beaucoup de stagiaires en marketing dont certains sont engagés en CDD ou CDI à la fin de leur stage ou de leurs études. Il faut dire que les conditions de travail sont agréables.. »

Groupe en formation au Carah (Ath)

Formations

Si nous avons souvent évoqué les différentes filières de l’IFAPME de Perwez et de Villers-le-Bouillet, qui permettent aux différents domaines de bénéficier de stagiaires bien formés (reprendre liens), il faut également épingler les formations du CARAH à Ath qui s’adressent essentiellement aux agriculteurs, aux salariés des entreprises agricoles, horticoles, parcs et jardins et travaux publics ainsi qu’aux demandeurs d’emploi.

Certaines se déroulent en quelques jours seulement. Comme par exemple la formation Viti-viniculture destinée aux personnes souhaitant s’initier à la viti-viniculture. Elle permet d’appréhender le secteur, de comprendre les enjeux financiers et matériels liés à l’implantation d’un vignoble et de jeter les bases d’un futur projet viticole. (infos : vigne@carah.be).

Depuis 2019, une option viticulture (« Techniques viti-vinicoles ») a été ajoutée au Bachelier en agronomie proposé par la Haute Ecole provinciale de Hainaut Condorcet. C’est la première structure d’enseignement supérieur en Belgique à intégrer cette discipline dans ses enseignements.

C’est une autre piste pour trouver de la main d’œuvre qualifiée car les étudiants sont bien sûr amenés à réaliser des stages d’insertion professionnelle au sein d’exploitations viticoles belges (ou étrangères) pour couvrir l’ensemble des activités à différentes périodes de l’année : entretien et suivi du vignoble (période estivale), suivi des fermentations (période automnale), taille de la vigne (période hivernale).

A noter que cette option est développée en partenariat avec le CARAH, l’Université de Bourgogne et l’Institut de la vigne et du vin Jules Guyot.

(1) Pour toute information sur la réglementation du travail saisonnier, les membres de l’AVW peuvent contacter Claude Vanhemelen, représentante du secteur horticole wallon au sein de la Commission Paritaire 145 – fwh@fwa.be.

Marc Vanel

A LIRE AUSSI

Et si les vignerons réutilisaient leurs bouteilles ?